Manifestations en Algérie : Les médias d’Etat forcés de « regarder ailleurs »

Manifestations en Algérie : Les médias d’Etat forcés de « regarder ailleurs »
jeudi 7 mars 2019 - 12:30

L’Algérie est 136e (sur 180) au classement de la liberté de la presse, selon RSF. De fait, les médias du pays ne sont pas moins ou plus libres que ceux des pays voisins ou ceux de la région. Toutefois, au vu de la manière dont sont traitées les manifestations de rue contre le 5è mandat d’Abdelaziz Bouteflika, c’est à se demander s’ils ne sont pas totalement déconnectés de la réalité. Ou si une omerta dans les règles de l’art ne leur est tout simplement pas imposée.

En fait, et par souci de justice, il serait plus judicieux d’expliquer que la « déconnexion » est préméditée. Les journalistes, du moins une partie, ont été contraints de détourner les yeux, de regarder ailleurs et de parler de tout, sauf de ce qui se passe dans le pays.

Car ce qui s’y passe est grave et inédit. Depuis le 2 février dernier, et l’annonce officielle de la candidature de Bouteflika à une 5è mandature, la rue algérienne bouillonne, et le fait savoir aux yeux du monde entier, sauf ceux de l’Algérie.

Radio et télévision publiques ont d’abord totalement passé sous silence les nombreuses et massives manifestations, avant d’en faire état en atténuant les mots d’ordre. Outre les médias audiovisuels publics, les chaînes privées d’information, habituellement friandes d’événements en direct et souvent propriétés d’hommes d’affaires proches du pouvoir, ont également largement passé sous silence les manifestations de ces dernières semaines.

Circulez y a rien à voir!

Depuis début février donc, la grogne enfle et meuble la Une des journaux, aussi bien écrits que télévisés des quatre coins de la planète, à l’exception de celle de la TV algérienne qui préfère parler thermalisme.

Ce 2 février, à 19h, heure de grande audience, Canal Algérie, l’une des premières chaînes publiques du pays, ouvre son édition avec des sujets sur le « thermalisme » et le « salon de l’hôtellerie et de la restauration », ignorant les milliers de protestataires dans la rue. Il en sera de même le lendemain (23 février), comme il en sera de même avec les autres médias d’Etat, notamment l’agence de presse APS, qui optent pour un black-out.

Mais les choses étaient vouées à ne pas durer. Un journaliste ne cesse pas de l’être parce qu’il est aux ordres, encore moins quand il est interpelé par une cause devenue « nationale », celle de ne pas céder à l’humiliation et au ridicule, qu’incarne aux yeux des Algériens la candidature du président sortant.

Non à la censure, oui à la liberté d’informer

#Sit_in #Radio_Algérienne #26février2019#Twitter @HayetRahmani#Instagram hayet_rahmanii

Publiée par Hayet Rahmani sur Mardi 26 février 2019

En effet, les journalistes algériens ont fini par se lasser du verrouillage et sont descendus dans la rue pour dénoncer la « censure et les pressions hiérarchiques dont ils font l’objet concernant la couverture du mouvement de contestation ».

Plus d’une centaine de journalistes algériens se sont réunis jeudi 28 février sur la place de la Liberté de la presse, à Alger, pour revendiquer le droit à l’information. Ils ont tous été arrêtés, pour être libérés plus tard.

D’autre part, Meriem Abdou, rédactrice en chef de la Chaîne III en Algérie, a démissionné de son poste d’encadrement de la station de radio. «Je refuse catégoriquement de cautionner un comportement qui foule aux pieds les règles les plus élémentaires de notre noble métier», a-t-elle écrit sur Facebook.

La sanction ne s’est pas fait attendre. Son émission de radio, Histoire en marche, a été supprimée, mais la corde a été cassée et les appels se multiplient sur les réseaux sociaux pour davantage de mobilisation.

Lassés, usés, les journalistes algériens sont ainsi nombreux à soutenir la décision de Meriem Abdou. Un sit-in a été organisé devant la Radio nationale, afin d’exiger la liberté de ton dans la couverture des événements, et des appels sur les réseaux sociaux ont invité la profession à se réunir jeudi à 11 heures, sur la place de la Liberté à Alger.

Refus d’être aux ordres 

Un changement évident est en train de s’opérer dans la presse algérienne qui exige son droit à la liberté d’informer.

« Il s’agit d’un verrouillage qui commence à être remis en question grâce à la mobilisation des journalistes, qui ont été finalement été autorisés à couvrir les manifestations à Alger », commente Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de Reporters sans Frontières.

Les médias auraient effectivement reçu des instructions très spécifiques de la direction de campagne du président Bouteflika. Il s’agirait, selon Souhaieb Khayati, de « présenter les manifestations anti-cinquième mandat comme des manifs pour engager des réformes politiques en Algérie. » Rien de bien grave, donc.

Autre signe de lassitude et de ras-le-bol, et non des moins significatifs, la journaliste qui a lu « la lettre d’engagement » de Bouteflika à l’antenne a présenté sa démission.

Furieuse de s’être vu remettre à la dernière minute « une déclaration écrite du président Abdelaziz Bouteflika», dont elle a dû donner lecture à l’antenne, Nadia Madassi, ancienne de la radio nationale, et plus de quinze ans au journal télévisé du soir sur Canal Algérie, a préféré jeter l’éponge, selon ses confrères.

Nadia Madassi, Meriem Abdou et bien d’autres, se sont élevés contre les « pressions de plus en plus fortes » qui sont exercées sur eux par leur hiérarchie concernant la couverture de la contestation de la 5e candidature de Bouteflika.

Il est vrai que le pouvoir algérien contrôle près de 95 % de l’information dans le pays, mais à l’heure d’Internet, le verrouillage ne peut en aucun cas être total.

C’est ainsi que les Algériens, et leurs médias, ont appris, depuis la clinique suisse où est hospitalisé Bouteflika que son état est « sous menace vitale », une raison de plus à leurs yeux pour réclamer l’annulation de sa candidature à la présidentielle.

Bravant le spectre de « décennie noire » et de « scénario à la Syrienne » brandi par l’institution militaire, ils y vont de plus belle, déterminés à mener leur combat jusqu’au bout, en dépit des restrictions, menaces, arrestations et intox qui veulent faire croire, au risque de verser dans le ridicule, qu’au pays du million de martyrs, « tout va bien dans le meilleur des mondes ».

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