FT/ Comment le Maroc a-t-il résolu ses crises diplomatiques? Interview Mustapha Sehimi

FT/ Comment le Maroc a-t-il résolu ses crises diplomatiques? Interview Mustapha Sehimi
vendredi 29 juillet 2022 - 10:38

Les premiers mois de 2022 ont été marqués par la résolution de deux crises diplomatiques majeures, avec l’Allemagne et l’Espagne. Le Maroc a réussi à faire comprendre à deux pays ayant eu des positions ambigües sur le Sahara toute l’importance de cette question.

A l’occasion de la Fête du Trône, Hespress FR fait un retour sur les grands moments de la diplomatie marocaine avec Mustapha Sehimi, professeur de droit et politologue.

La diplomatie marocaine, emmenée par le ministre des Affaires Etrangères, Nasser Bourita, en application des hautes instructions du Roi Mohammed VI, ainsi que son suivi personnel, a permis de réaliser de grandes avancées en l’espace de quelques mois. Des changements qui, il y a quelques années encore, paraissaient irréalisables pour de nombreux observateurs.

L’Espagne, l’ancienne puissance coloniale au Sahara, a appuyé le Maroc dans le dossier de ce conflit artificiel, l’Allemagne également, et quelques mois après le rétablissement des relations diplomatiques avec Israël, le pont d’Allenby qui permet aux Palestiniens d’avoir une fenêtre sur le monde, a été ouvert de manière permanente grâce au parrainage du Roi Mohammed VI.

Le changement de cap de Madrid au sujet du Sahara interpelle parce qu’il s’agit d’un revirement de situation inattendu qui a « choqué » autant en Espagne qu’en Algérie. En Allemagne aussi, cet appui vient d’un pays qui avait montré des réserves. Comment le Maroc est-il allé chercher ces deux positions ?

Pour ce premier semestre 2022, et à la veille de la fête du Trône, comment se présente désormais la question nationale du Sahara marocain ? Nul doute qu’elle est de nouveau confortée : un processus de consolidation de la position marocaine qui ne peut que perdurer. Vous faites référence en particulier à deux pays européens, l’Espagne et l’Allemagne. Une approche distincte doit être faite pour eux. Avec Madrid, il faut rappeler que la crise est intervenue en avril 2021 lorsque les autorités espagnoles ont accueilli le chef du mouvement séparatiste, Brahim Ghali, pour des raisons de « santé »…

Le Maroc a fermement réagi: Rappel de l’ambassadrice à Madrid, mesures de suspension de la coopération judiciaire et sécuritaire mais maintien des relations commerciales et économiques. La tension a persisté durant des mois. Elle n’a été surmontée qu’après des actes de Madrid pour normaliser les relations bilatérales et les asseoir sur des bases nouvelles de transparence, de respect et de confiance.

Avec l’Allemagne, c’est aussi la question nationale qui a été au cœur de la tension. Celle-ci s’est polarisée singulièrement au lendemain de la reconnaissance par l’administration américaine de Trump de la souveraineté marocaine sur ses provinces sahariennes récupérées. Dans les jours qui avaient suivi, Angela Merkel, alors chancelière – et dont le pays était membre non permanent du Conseil de sécurité – avait demandé une réunion d’urgence de cette haute autorité onusienne. En quoi Berlin est concerné au premier chef par cette question ? Qu’est-ce qui justifie une demande aussi « urgente » ? Là encore, le Maroc a réagi avec vigueur. La tension a duré tout au long de l’année 2021.

Il a fallu que le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, adresse 1e 3 janvier un message de vœux au Souverain. Rabat avait décidé de « suspendre tout contact » et toute « interaction ou action de coopération (…) aussi bien avec l’Ambassade d’Allemagne au Maroc qu’avec les organismes de coopération et les fondations politiques allemandes qui lui sont liés ». Une décision qui tient à des « malentendus profonds », une attitude négative sur la question du Sahara marocain, un « activisme antagonique » en la matière, un « acharnement continu » à « combattre 1e rôle régiona1 du Maroc, notamment sur le dossier libyen », etc.

Le Roi a été invité pour une visite d’Etat en Allemagne. Et les relations ont pu se normaliser après que le président allemand ait tenu à réaffirmer – après une déclaration du ministère allemand des Affaires étrangères, que « le Maroc a apporté une contribution importante concernant la résolution du dossier du Sahara et ce « à travers un plan d’autonomie au Sahara en 2007 ». Rabat attendait des « actes », ce qui a été fait.

Qu’est-ce qui a pu convaincre l’Allemagne, un pays aussi froid sur le sujet, et l’Espagne l’ancienne puissance coloniale dont l’intérêt était de maintenir son double jeu?

Le Maroc ne veut pas seulement convaincre Madrid et Berlin. Il veut plus : Une appréhension conséquente des termes de références du confit artificiel du Sahara, une prise en compte des résolutions du Conseil de sécurité sur la prééminence du projet marocain d’autonomie continument validé par cette haute instance onusienne, une adhésion et un soutien à un processus de négociation de compromis, réaliste, sérieux et crédible.

Le Royaume n’ignore pas qu’en Espagne, par suite de sa responsabilité historique de puissance occupante, des divergences et des sensibilités diverses puissent encore perdurer. Mais il estime qu’il y a des intérêts supérieurs qui doivent prévaloir. Ce qu’a fini par reconnaître le Chef du gouvernement qui a déclaré devant le Congrès des députés que son pays défendait des intérêts d’Etats et que c’est là une « affaire d’Etat « . Un message adressé également à l’Algérie qui a ouvert une crise avec Madrid à ce sujet. Faut-il parler de « double jeu » de l’Espagne auparavant ? il faut plutôt faire référence à une ambigüité qui désormais est surmontée.

La façon avec laquelle le changement de position de l’Espagne et de l’Allemagne a été annoncée est également intéressante à analyser. Il y a eu les passages de la lettre de Sanchez annoncés par le cabinet royal, puis la visite pour un iftar avec le Roi Mohammed VI…

Les conditions de reprise et de normalisation avec Madrid et Berlin sont intéressantes à relever. La visite du Chef de l’exécutif espagnol, le 7 avril dernier, a été marquée par l’entretien qu’il a eu avec le Roi. Le Souverain lui a ensuite offert un « iftar », une marque particulière… Pedro Sanchez à cette occasion, a tenu à « réaffirmer la position de l’Espagne sur le dossier du Sahara, considérant l’initiative marocaine d’autonomie comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend », selon les termes mêmes du communiqué du cabinet royal.

Les questions d’intérêt commun entre les deux pays sont importantes : immigration illégale, réouverture des frontières et des liaisons maritimes, lutte contre la contrebande, échanges et investissements (l’Espagne est le premier partenaire commercial du Maroc), coopération énergétique, délimitation des eaux territoriales, …

Pour ce qui est de la nouvelle position de Berlin, des signes successifs dans le sens de l’abaissement ont été donnés par la diplomatie allemande. Le ministère des affaires étrangères a précisé que le rapport produit par un think tank allemand, Stifun Wissenschaft und  Politik, (Institut allemand des affaires internationales et de sécurité, SWP) ne reflétait pas la position officielle de son pays. Sauf à préciser que ce rapport était dans la fiche pays de ce même département.

Ce rapport recommandait à l’Union européenne de limiter « les ambitions hégémoniques du Maroc » en Afrique en aidant davantage l’Algérie et la Tunisie. Ce document relevait également que « le Maroc a énormément étendu sa présence en Afrique subsaharienne au cours de la dernière décennie, surtout sur le plan économique… ». Ce qui avait conduit le Roi Mohammed VI à réagir dans son discours du Trône du 30 juillet 2021 en ces termes : « Quelques pays, notamment des pays européens comptant paradoxalement parmi les partenaires traditionnels du Maroc, craignent pour leurs intérêts économiques, leurs marchés et leurs sphères d’influence dans la région maghrébine ».

Comme pour tourner la page de la crise, le nouveau cabinet allemand, dirigé par le socialiste Olaf Scholtz, fait l’éloge du rôle du Maroc dans la région, en louant entre autres « son engagement diplomatique en faveur du processus de prix libyen ».

Avec Israël, les relations bilatérales se renforcent et sont pleinement assumées du côté du Maroc. Les liens sont fluides et paraissent même naturels. D’ailleurs, en l’espace de quelques mois, le Maroc a joué un rôle central dans l’ouverture du pont d’Allenby, ce qu’aucun autre pays arabe n’a fait. Qu’est-ce que cela démontre?

Avec le rétablissement des relations avec Israël, le Maroc déploie de nouveau son action diplomatique de manière optimale. L’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine, autant d’espaces régionaux et même continentaux où le Royaume poursuit une politique étrangère particulière, influente, crédible et même rayonnante.

Avec Israël, les facteurs de rapprochement sont connus : une communauté marocaine de plus de 800. 000 personnes juives, une politique constante de dialogue entre les peuples israélien et palestinien, la préservation du statut d’Al Qods Acharrif dont le Comité est présidé par le Roi Mohammed VI, les potentialités énormes d’une coopération économique, militaire aussi et dans d’autres domaines. Faut-il rappeler que la cause palestinienne est chère au cœur de tous les Marocains au même titre que la celle du Sahara?

Le Souverain a réitéré, le jour même de la signature des accords d’Abraham, son soutien total à la cause Palestinienne en téléphonant au président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas. Le Maroc est bien placé pour faire valoir les droits légitimes des palestiniens et pour faire avancer une solution de deux Etats.

C’est cette politique du Maroc qui porte ses fruits avec l’ouverture, tout récemment, du poste-frontière Allenby – Roi Hussein qui est la seule liaison des Palestiniens entre la Cisjordanie et la Jordanie. La médiation a été conduite par le Roi du Maroc… Cela démontre quoi ? Que la diplomatie marocaine est efficace, mobilisée et qu’elle tranche, pour ce qui est de la cause palestinienne, avec tant de postures et de gesticulations…

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