Saisonnières d’Huelva : Les droits ignorés des travailleuses marocaines de la fraise - Part 2 -

Saisonnières d’Huelva : Les droits ignorés des travailleuses marocaines de la fraise - Part 2 -
Photo Soufiane Fassiki
vendredi 7 mai 2021 - 10:48

Dans la première partie de ce dossier d’enquête, Hespress Fr est revenu sur le témoignage poignant d’une refoulée de la saison de culture des fruits rouges en Espagne pour la deuxième année consécutive, et la précarité dans laquelle elle s’est retrouvée. Dans cette deuxième partie, nous allons nous immiscer dans la loi espagnole et les droits des cueilleuses marocaines de fruits rouges qui ont été bafoués. Les données nous ont été communiquées par l’équipe de Women By Women, qui travaille aux côtés de ces nombreuses femmes marocaines ayant vécu le calvaire de la campagne circulaire organisée chaque année par le Maroc et l’Espagne. Les détails.

Huelva est la province d’Andalousie dans laquelle se concentre la majeure partie de la production des fraises en Espagne qui reste le premier fournisseur de fruits rouges en Europe. Le marché de la fraise et sa production sont principalement dominés par plusieurs multinationales explique Women by Women dans un rapport confié en exclusivité à Hespress Fr et réalisé par Laura Iruarrizaga Ballesteros, juriste franco-espagnole spécialisée en droits humains et en droit de l’immigration. Elle est en charge du département légal de la plateforme Womenbywomen, dans l’objectif est d’utiliser le droit pour contribuer à une réalité féministe.

Ainsi, le système de production des fruits rouges en Espagne repose en grande partie sur des travailleuses saisonnières qui se rendent chaque année en Espagne avec des contrats à durée déterminée pour la cueillette. Une grande partie de travailleuses saisonnières provient du Maroc, en vertu d’un accord entre les deux Royaumes, en date de juillet 2001. 

Les travailleuses sont sélectionnées en fonction de deux catégories d’offres d’emploi temporaire. Il y a les offres génériques qui sont proposées aux « nouvelles » travailleuses, entendues comme celles qui n’ont jamais cueilli de fraises auparavant. Puis, il y a les offres nominatives pour les travailleuses qui renouvellent la saison de la cueillette des fraises, entre autres, des offres réalisées à des personnes spécifiques (art. 167.3 du règlement relatif aux étrangers).

Dans le cas des offres génériques, la sélection est effectuée au Maroc par une commission hispano-marocaine et aboutit à la signature d’une liste de sélection avec les noms des personnes choisies, explique la juriste de Women by Women dans son rapport.

Manque de transparence

Le processus de sélection se fait ainsi selon des critères qui manquent de transparence estime le rapport, donnant ainsi l’exemple des documents en français ayant fuité et qui indiquent que les travailleuses, toutes des femmes, ont été sélectionnés sur la base de trois critères, à savoir avoir leur résidence dans un milieu rural, leur âge variant entre 25 et 45 ans et la charge d’un enfant mineur.

Pour la juriste de W by W, « ces critères ne semblent avoir d’autre but que celui de s’assurer que les travailleuses saisonnières ont besoin du travail proposé malgré les conditions abusives tout en étant sûrs qu’elles rentreront chez elles pour s’occuper de leurs enfants ou de leur famille une fois le travail achevé ».

Les critères de sélection doivent être considérés comme discriminatoires tant sur la base du sexe des travailleuses comme de leur environnement et de leur situation économique, estime-t-elle, rappelant ainsi  que l’Espagne a l’obligation de veiller à ce que les femmes exercent leurs droits économiques et sociaux de manière égale et sans discrimination (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, article 11 ; Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, article 23 … ).

De plus, poursuit la juriste, l‘accord entre le Royaume d’Espagne et le Royaume du Maroc indique que les travailleurs marocains bénéficient des droits et privilèges accordés par la législation espagnole. Et de ce fait, l’application de l’article 17.1 du Estatuto de Trabajadores (Code du Travail Espagnol) qui interdit la discrimination dans les relations de travail, explique le rapport, notant que ce code affirme que les préceptes discriminatoires seront considérés comme nuls de plein droit.

« La sélection des travailleuses de la fraise constitue ainsi une violation manifeste du droit de vivre sans discrimination, une obligation qui incombe à l’Espagne dans ce cas », soulève W by W.

Des contrats signés, des frais payés, des femmes abandonnées

S’agissant des contrats liant les cueilleuses de fruits rouges à leurs employés, et indépendamment de la procédure de sélection discriminatoire, W by W explique que les travailleuses sélectionnées signent des contrats dans un environnement propice à la tromperie, sans comprendre ce qu’elles signent, pour la plupart, et sans être autorisées à conserver des copies des contrats.

Voici un témoignage de N.K. à Women by Women sur cette question :  « Nous avons signé le contrat il y a un an et je jure qu’il faisait environ 7 pages. Je les ai signées mais je ne savais même pas ce que je signais avec tous ces papiers, je ne sais pas si tout cela faisait partie du contrat ou s’il y avait des clauses qu’aucune de nous ne connaissait ».

Par ailleurs, Women by Women note que ses nombreuses conversations avec les différentes travailleuses lui ont permis de constater qu’elles n’ont pas eu d’interprète pour traduire le contrat au moment de la signature, et que la rémunération qu’elles allaient recevoir ne leur a pas été expliqué. Les employeurs se contentant d’indiquer la rémunération brute sans expliquer que les montants qu’elles recevraient seraient inférieurs après le paiement d’impôts, souligne la même source. 

Au-delà des problèmes éthiques que ces méthodes de recrutement peuvent poser, W By W revient sur l’arrêté GECCO pour 2021 qui établit dans son article 3.2 les obligations des entreprises. Parmi ces dernières se trouve le devoir de l’entreprise d’assurer aux travailleuses un accompagnement, une aide et les informations spécifiques concernant les caractéristiques de leur recrutement.

Women By Women qui a pu se procurer l’article susmentionné, il est évident selon elle qu’il existe un mépris complet envers la réglementation spécifiquement créée pour ce type de procédures et de contrats d’origine.

« Nous n’apercevons pas une once de tentative de fournir des informations véridiques et qui seraient conformes à la réalité à laquelle les travailleuses journalières seront confrontées une fois qu’elles auront réussi à arriver en Espagne et qu’elles auront commencé à travailler », explique-t-elle. 

D’autre part, et concernant le travail effectif, la plateforme revient sur le fait que les travailleuses de la fraise doivent obtenir des visas pour pouvoir se rendre en Espagne. Selon l’article 17 de l’arrêté GECCO pour 2021, les frais de visa doivent être payés par l’employeur.

Toutefois, dans la pratique, les travailleuses qui se sont adressées à Women by Women ont affirmé avoir payé de leur poche les frais administratifs nécessaires à l’obtention du visa auprès du consulat espagnol.

Plus précisément, le prix s’élève à 639 dirhams marocains, soit 59,50 euros, ce qui représente un tiers du salaire minimum au Maroc (qui est de 1 994,20 dirhams marocains, soit environ 185,68 euros), indique la même source.

La procédure décrite ci-dessus est systémique, comme a pu le déduire Women By Women des documents remis aux travailleuses en français.  Women by Women y a eu accès et a vérifié que l’IBAN du compte du consulat d’Espagne à Tanger est établi avec des instructions pour que l’ANAPEC (l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences) informe les travailleuses de la procédure de paiement des frais correspondant au visa demandé.

Il s’agit non seulement, selon la même source, d’une violation manifeste des obligations de l’entreprise, mais également d’une sélection discriminatoire de facto des travailleuses journalières en fonction de celles qui seront en mesure de payer les montants susmentionnés. De plus, même pour celles qui auraient pu payer cette somme, nous ne pouvons négliger l’effort économique que cela représente afin d’effectuer un travail qui, dans certains cas, a fini par leur être refusé.

À suivre …

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