Amina Amharech: A la télé, les divertissements se font au dépend du spectateur marocain

Amina Amharech: A la télé, les divertissements se font au dépend du spectateur marocain
dimanche 14 juin 2020 - 14:56

Comment le marocain s’informe, puisque la télévision n’est plus vraiment ce qu’elle était auparavant ? En cette période de crise de Coronavirus, à laquelle est venu s’épingler le mois de Ramadan, la 8e chaîne « Tamazight » reste la seule chaîne que le téléspectateur marocain Amazighophone perçoit comme un gain et une reconnaissance de son existence et de son identité humaines. Mais la patience de ces téléspectateurs semble épuisée, au vu de la qualité des programmes diffusés, d’autant plus que la seule chaîne Amazighophone souffre elle-même de plusieurs contraintes, après dix de sa création.

Pour parler de ce sujet, Hespress FR s’est entretenu avec Amina Amharech, poétesse et militante Amazighe dans le cadre de la Déclaration des Nations Unis sur les Droits des Peuples Autochtones, membre du conseil de l’International Land Coalition et membre Fondateur de la Feministe Land Platform.

Hespress FR: Différents acteurs de la société civile et observateurs de la scène médiatique ont mis en garde contre toute forme de recul en matières d’acquis constitutionnels de Tamazight durant cette période d’état d’urgence sanitaire. Partagez-vous ce constat ?

Amina Amharech: Je le partage tout à fait d’autant plus que dès que l’on a commencé à parler d’arrêt des études et de confinement, on n’a vu aucune chaîne marocaine essayant de communiquer cette information capitale dans une langue que tous les Marocains comprennent et tous les intervenants parlaient en arabe classique . Les premiers à avoir réagi sont des militants Amazighs. Ils ont multiplié les vidéos pour expliquer aux gens de rester chez eux. Certains ont impliqué leurs enfants pour que eux aussi s’adressent aux Marocains de leur âge. C’était très important et positif pour responsabiliser même les plus jeunes، et de leur donner confiance en eux même.

La relève est assurée, mais tout ceci se passe à charge des institutions et des organes de l’Etat. Pourquoi nos responsables, en prenant la parole, s’expriment-ils dans une langue que la majorité ne parlent pas, alors que la pandémie ne touche pas qu’une certaine élite en particulier ? Il a fallu attendre près de deux semaines pour que le chef du gouvernement fasse une interview en Tamazight et je pense qu’il a été beaucoup plus performant dans sa langue maternelle. C’est ça le dilemme identitaire de ceux qui ont du mal à assumer leur identité sous l’effet d’idéologies foncièrement amazighophobes.

Les autres médias conventionnels ont-ils réussi à prendre le relais selon vous ?

C’est un sujet qui fait constamment partie de nos débats, même en dehors du mois de Ramadan. Le fait est que les masses médias ont depuis pas mal de temps renoncé à leur rôles informatif, éducatif ou même distractif. l’audiovisuel est aujourd’hui aux antipodes des aspirations des spectateurs et des auditeurs et la pandémie n’a fait que révéler ce que nous savons tous déjà: la télévision est essentiellement un moyen d’aliénation et de vulgarisation de la médiocrité et de l’Arabisation massive aux dépends de l’autre langue du pays : Tamazight, qui reste marginalisée malgré son officialisation.

Ce qui nous ramène à une autre question : Si les institutions de l’Etat ne sont pas capables d’assimiler les lois qui ont été votées et refusent de les appliquer de manière effective, à qui doit-on s’adresser ? Doit-on subir la marginalisation et attendre ? C’est pour ces considérations que chacun a décidé d’y aller de son propre message sur internet pour informer tous les Marocains sans exception dans une langue qu’ils comprennent et maîtrisent.

Voyons ce qu’ont servi les chaînes télévisées du pôle public pour le mois de Ramadan, dans un contexte de confinement. Peut-on parler d’avancées, d’année en année dans le traitement et dans la qualité ?

Tout d’abord, je tiens à souligner que ni la 8ème chaîne de la SNRT ni les autres chaînes, ne respectent le cahier des charges de l’audiovisuel, relatif au quota de la langue Amazigh, et que l’Arabisation massive est toujours en marche. Sur toutes les antennes, il y a plus d’Arabe que de Tamazight, à commencer par la supposée chaîne Amazighe elle même. Dans une émission sur la 8ème intitulée « linataalam maa zainab » (Apprenons avec Zainab), l’animatrice est une petite fille qui a remporté un prix de lecture en arabe. Cette émission aurait pu être programmée ailleurs .

C’est l’exemple même d’une assimilation linguistique et culturelle, ce qui est un abus car ils pouvaient faire cette émission avec des amazighophones (…). Sur le plan de la qualité même des émissions – quelles soient ramadanesques ou non et le confinement ne faisant qu’ enfoncer le clou- le constat est juste navrant : gavage, désinformation et médiocrité sont toujours au rendez-vous pour insulter l’intelligence des marocains.

Maintenant que le Ramadan a coïncidé avec la propagation de la pandémie du Covid-19, nous sommes doublement otages : et du Corona et de la télé. Et pourtant il y a pas mal à faire sur tous les plans pour informer, éduquer, aider les gens à comprendre et à mieux appréhender une situation inédite. Depuis que la télévision ne fait plus d’émissions dignes de ce nom, beaucoup s’en sont détournés, même si on continue tous à payer la redevance télé. Aujourd’hui, tout le monde s’informe sur les réseaux sociaux et sur des sites spécialisés et des chaînes étrangères. Malheureusement peu de Marocains continuent de donner crédit à la télévision marocaine comme vous le savez, et c’est légitime.

Dans différentes régions du pays, les réunions en visioconférence ont dernièrement connu un franc succès. De par leur aspect didactique et très spontané, loin des contingences classiques, elles rassemblent des gens sur des préoccupations communes. Le ramadan ne peut que confirmer cette tendance selon vous ? 

Pour répondre, je voudrais rappeler qu’il y a quelques semaines, une chaîne nationale a programmé une de ces émissions de gala, alors que les Marocains commençaient à prendre conscience que le coronavirus est mortel, et que derrière les chiffres il y a des êtres comme vous et moi et non de simples numéros qui défilent . On ne comprend la mesure des choses que lorsqu’elles nous touchent. Un faux pas et une accentuation de cet abîme qui se creuse inexorablement entre les chaînes et les Marocains.

Lorsque les gens ouvrent la télévision en cette période de pandémie, ils le font généralement pour être informés, rassurés, et au fait des mesures prises, mais paradoxalement on ne peut que constater le décalage entre des dispositions préventives de taille prises sous les directives du Roi, et une cacophonie des « porte-paroles » et autres responsables qui défilent devant des millions de marocains pour dire sans convictions de choses qu’ils démentissent deux jours après. Oui, la situation est inédite. Oui, personne jusqu’à présent n’a le fin mot de l’histoire de ce virus sorti d’on ne sait où. Mais ne vaut-il pas mieux de jouer la carte de la franchise et de dire les choses telles qu’elles sont sans détours ? En l’absence de médias dignes de ce nom, les Marocains sont en passe de créer leurs propres moyens d’information via les réseaux sociaux. Une alternative qui en dit long sur la rupture avec l’audiovisuel conventionnel.

Les veillées nocturnes et même les « discussions » diurnes se multiplient pour laisser libre cour au débat et à l’échange et si nous avons besoins d’expliquer les retombées psychologiques du Coronavirus, nous le faisons entre nous en cercles restreints où tous le monde se connait en toute sécurité, confinement oblige ! Mais surtout dans une langue et un langage qui nous est tous commun et qui fait que tous nous nous reconnaissons dans des propos, des craintes et des espoirs d’un lendemain meilleur Personne ne prétend avoir la science infuse. Les gens reviennent vers des débats où personne n’insulte l’intelligence de personne et personne ne cherche à avoir l’ascendant sur personne. Comme dit l’adage « à quelque chose malheur est bon » et il faut croire que les Marocains ont ouvert les yeux sur l’horizon désertique de l’audiovisuel national et qu’il ne manque plus que les responsable de ce secteur fassent de même et se remettent enfin en question.

*Jassim Ahdani

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