Mariage des mineurs : Entre lois, études et un état des lieux des plus amers 

Mariage des mineurs : Entre lois, études et un état des lieux des plus amers 
vendredi 15 novembre 2019 - 10:39

Récemment, la présidence du ministère public a fait part de l’élaboration en cours d’une « étude de diagnostic » sur le mariage des mineurs.  Cette étude permettra, selon Mohammed Abdennabaoui, de jeter la lumière sur les problématiques qui entravent la lutte contre ce phénomène, en particulier au niveau de l’intervention judiciaire.

D’autres sujets annexes, devraient également être concernés par l’étude, notamment la violence à l’égard de l’épouse, l’expulsion du domicile conjugal, la négligence de la famille ou encore le mariage forcé.

C’est dire que la problématique est sérieuse et doit être traitée au plus haut niveau. Chiffre révélateur : L’année 2018 a enregistré, à elle seule, plus 33.686 demandes, soulevant ainsi des interrogations au sujet des positions prises à l’égard de ces demandes par les différents intervenants et services judiciaires. Car des mariages de mineurs, il y en a eu pendant cette année, il y en a eu avant, et il y en aura encore et toujours, tant le procédé est rodé et la mentalité rigide et hermétique à tout changement.

Et pourtant, l’outil juridique était là. La Présidence du ministère public a promulgué plusieurs circulaires, dont la circulaire N° 20 relative au mariage des mineurs, qui a été adressée aux membres du ministère public à travers les différentes juridictions du Royaume, les appelant à la préservation des droits des mineurs et à ne pas hésiter à s’opposer à toute demande de mariage ne tenant pas compte de leurs intérêts.

Toutefois, cela n’a pas empêché les demandes concernant le mariage des mineurs d’enregistrer une croissance alarmante. La situation est d’autant plus complexe que le mariage des mineurs a des effets induits et ouvre la porte à d’autres aspects de la problématique qui la compliquent davantage et interpellent une action en amont, une mobilisation de tous les intervenants, mais aussi et surtout des mesures coercitives « pour taper fort et donner l’exemple ».

La manière forte

Pour Aziz Ghali, président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), les lois sont là, mais elles sont tout le temps transgressées, il faut donc être plus ferme dans son application, et « donc passer à l’incrimination pure et simple de ces actes« .

« C’est un débat qui dure depuis l’époque de Saïd Saadi, et qui va durer encore des années si rien n’est fait« , confie-t-il à Hespress FR, car estime-t-il « des questions claires sur lesquelles la loi s’est déjà prononcée, n’ont pas besoin d’étude« .

Il faut dire que notre interlocuteur voit les choses autrement. « L’argent qui va être dépensé dans une étude peut l’être dans une campagne de sensibilisation« , nous dit-il.

Et d’argumenter : « Les lois sont là mais il y a aussi une absence totale d’accompagnement. Par exemple, un spot télé qui dit clairement que le mariage des mineurs est passible de sanctions, peut avoir beaucoup d’impact et nous épargner des années perdus dans les débats et les études« .

Le président de l’AMDH insiste : « Ce qu’il faut c’est une meilleure sensibilisation et un meilleur accompagnement sur le terrain. On a l’impression que les lois sont mises en place juste pour l’étranger, pour dire que nous avons des lois, mais la vérité est qu’elles ne sont pas appliquées, en tout cas pas avec la fermeté requise« .

Selon lui, tout ce qui n’est pas application stricto sensu de la loi, n’est que perte de temps.

« Déjà au tout début, on avait recouru à l’arbitrage, on pensait que la moudouwana allait résoudre le problème mais cela n’a pas été le cas. On a eu les 5 premières années, on pensait que c’était suffisant pour assainir, mais nous sommes déjà à 15 ans, et rien n’est fait, la situation est toujours la même. Toutes ces années n’ont fait qu’ouvrir la porte devant d’autres problématiques (fatiha, polygamie…)« , déplore-t-il.

Constat amer pour Aziz Ghali : « Ces 5 années devaient être mises à profit pour sensibiliser, notamment de la part des hommes de religion, pour convaincre les récalcitrants et mettre un terme aux résistances, mais il faut croire qu’on prépare déjà l’après 2021, quand les islamistes ne seront plus à la tête de l’exécutif« .

Avis partagé par l’ADFM

Pour Saida Idrissi, présidente de l’association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), « il faut trancher et avoir le courage de prendre une décision« .

Cette décision courageuse, a-t-elle indiqué à Hespress FR, est « d’amender la loi et de prévoir des sanctions à l’encontre des hommes qui l’utilisent pour se marier avec des filles mineures ou prendre une seconde épouse« .

Il s’agit, estime Saida Idrissi, d’ »incriminer carrément le mariage des mineures » et couper court à toute utilisation frauduleuse de l’article 16 du Code de la Famille, dans le sens de favoriser à la fois mariage des mineures et polygamie.

L’article 16 a été utilisé contrairement à son objectif, et ainsi considéré et mis en application, il enfreint de lui-même les principes des droits humains et les conventions internationales et constitutionnelles, nous dit-elle.

Héritage culturel

Comment peut-on appeler à l’application d’une loi quand elle transgressée par ceux-là même qui doivent la préserver ? Que peut-on faire face à un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur pour atteindre en 2018, 25.000 dérogations légales à la Moudawana, 14 ans après son adoption ? Pire, quand l’exception devient la norme ?

Quelle initiative entreprendre quand le mariage des mineures est considéré comme un héritage culturel, et les mentalités fortement influencées par les traditions et les coutumes, malgré l’existence des lois qui réglementent les rapports au sein d’une société ? Sensibiliser ? Sanctionner ? Les deux à la fois ? A méditer…

Commentaires des visiteurs

2
  • Messaoud
    vendredi 15 novembre 2019 - 11:26

    Bravo pour M.Aziz.ghali..pour son franc parle et son courage a dire la verite..!!!

  • Messaoud
    vendredi 15 novembre 2019 - 11:26

    Bravo pour ces intervenants…!!!

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